Non à la loi Sécurité globale

Edito de l’Atelier Politique

Le travail des documentaristes est de montrer le réel, de filmer des situations du quotidien, qu’on ne voit plus à force de les côtoyer, ou des situations hors normes qu’on ne connait pas assez. Le travail des documentaristes est de ré-enchanter le réel, non pas en l’édulcorant ou en le positivant naïvement, mais en faisant surgir son sens politique, en faisant émerger un point de vue à plusieurs entrées et à plusieurs sorties, qui se risque à ressembler au réel : un point de vue complexe, prêt à évoluer, une proposition de réflexion faite au spectateur.

Aujourd’hui, la proposition faite aux citoyens français d’une loi qui interdirait de montrer une partie du réel est une contre-production de vérité. C’est une requête pour installer un mensonge.

Interdire de sortir de l’ombre les violences policières, interdire de montrer la manière d’agir de notre police, c’est avouer que certains de ses procédés ne sont pas supportables, pas « montrables » c’est déclarer ouvertement, à la France et au monde, que cette police commet des actes condamnables.

Comment lire dans cette proposition autre chose qu’une intention de pouvoir violenter les citoyens qui s’opposent, qui manifestent, tout en étant abrité par l’interdiction de montrer ces violences ?

Alors qu’il devrait être le premier à mettre à jour les évolutions et les changements des réalités politiques du pays, c’est à dire la répartition des pouvoirs, le gouvernement propose de cacher les agissements du pouvoir policier. Et il propose de punir ceux qui travailleraient à montrer la réalité de l’exercice de ce pouvoir…

L’engrenage est là : après la multiplication des violences policières, après l’interdiction de les montrer, on peut imaginer la suppression de l’indépendance de la justice qui pourrait les condamner…

Une loi qui interdit de montrer la réalité ne doit pas voir le jour dans notre pays.

Si la réalité désigne le réel perçu à travers l’expérience, la réalité de cette affaire se voit en remontant à son origine : depuis plusieurs années, il est nécessaire de combattre les violences qui ont lieu contre la liberté d’expression, les violences terroristes. Mais cette lutte, sous prétexte de sécurité, a occasionné une recrudescence de violences contre ceux-là même qui défendent la liberté d’expression. Il faut donc aussi se battre aussi contre la multiplications de ces violences policières. Cela va dans le même sens. Cela va jusque là.

Nous, documentaristes, nous recherchons indéfiniment les paroles et l’intelligence des propos des gens, de toutes celles et ceux qui vivent sur le territoire. Nous écoutons longuement leurs paroles et leurs sous-entendus. Nous soulignons aujourd’hui que pour proposer une loi comme celle-là, il a fallu penser que les gens de notre pays vont confondre l’absence de violences policières, avec l’absence des images qui les montreraient. Il a fallu penser que les gens vont confondre les manifestants qui s’insurgent contre la censure, avec les terroristes qui s’insurgent contre la liberté… Le pouvoir chercherait-il à insinuer une telle confusion dans les esprits ?

Nous, documentaristes, voulons continuer à chercher dans nos films des face à faces avec le réel qui creusent avec précaution et patience, à l’écoute de tous, les distinctions, les nuances et les différences qui, seules, font avancer la pensée du réel.

Meryem de Lagarde

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